Ciel, mon dentier !

Un rejet global du vieillissement

Ben dis donc grand-père, ça fait un moment qu'on ne s'est pas vus !! Tu sais, j'ai réfléchi depuis la dernière fois, par rapport à ce que tu racontais sur la perception globale des personnes âgées, et je me demande : à quoi est-ce dû ?

Hein ? Qu'est-ce que tu dis ? J'ai mon sonotone qui ne m'a plus à la bonne... Je règle, je règle, merci, 1-2-3 essai micro, c'est mieux. Les histoires te passionnent, je le sais bien, alors laisse-moi te narrer celle-ci. Tout commence pendant l'Antiquité...

Il était une fois un peuple puissant et renommé, les Grecs. Ces intrépides guerriers étaient aussi de grands écrivains en temps de paix, et ils n'hésitaient pas à disserter sur des signes mystérieux qu'il considéraient comme étant annonciateurs d'un âge "ingrat" de la vie, associé au dépérissement, à la laideur et même à la mort. Qu'y a-t-il d'étonnant alors à ce que cette dernière étape du long chemin de l'existence soit redoutée par ceux-là mêmes qui la subissent, c'est-à-dire nous ? D'autant plus qu'à la Renaissance, d'autres auteurs (notamment ceux de la Pléiade et en particulier, pour ne pas les citer, Pierre de Ronsard et Joachim Du Bellay) en ont rajouté une couche...

Mais il y a autre chose, un peu plus proche de toi cette fois-ci. Imagine-toi un vieillard français en 1900 (j'ai dit "un peu" plus proche !), époque où l'espérance de vie n'était, comme tu le sais maintenant, pas très élevée, ce qui signifie que tout le monde ou presque avait tendance à mourir jeune (par rapport à maintenant) : tu le considérerais sûrement comme un homme respectable, valeureux voire extrêmement courageux, ayant réussi à suivre sa route sans jamais poser les deux pieds dans la tombe alors qu'il y avait de grandes chances qu'il trouve la mort entre 0 et 5 ans comme entre 10 et 20 ans ou, mettons, entre 30 et 60 ans. Prends à présent le même vieil homme, fais-lui faire un petit tour dans ta machine à avancer dans le temps et transporte-le jusqu'à aujourd'hui, puis observe les réactions des gens moins âgés face à lui... Elles sont bien évidemment assez différentes, n'est-ce pas ? Tout ça parce que la population n'a plus autant de risques de disparaître entre 0 et 5 ans (les progrès de la médecine amenant à une diminution de la mortalité infantile, rappelle-toi), ni entre 5 et 60 ans (toujours grâce aux avancées scientifiques...) ; en réalité, la majeure partie d'entre elle rend les armes à plus de 70 ans. Du coup, ton fameux "vieux", il n'a aucun mérite à l'être, il est tout juste parvenu à se maintenir grâce à nos éminents chercheurs qui l'ont aidé à surmonter les épreuves de sa vie à l'aide de médicaments, rien de plus ! Et c'est ainsi que la vieillesse est associée à une sorte d'antichambre de la mort, à une fin plutôt qu'à un renouveau, à un phénomène hideux, détestable, qu'il faut éviter à tout prix.

D'où une résurgence actuelle du "refus de vieillir", cristallisée sous la forme de deux théories plus ou moins discutables...  

Ô jeune libellule, que vous êtes joli, que vous me semblez beau, et que vous parlez bien ! Vous m'étonnâtes grandement !! Effectivement, la peur de mourir, donc d'avancer en âge (ce sont deux choses très liées à mon sens), présente deux visages. Me laisseras-tu te les présenter ?

Oh oui, oh oui !!!!Le manuel "Savoir Vieillir" par Cicéron

Tu sais ce que ça me rappelle ? "Et voici Oui-Oui, avec tous ses amis..." Trêve de taquineries, chose promise chose due, commençons par le jeunisme qui, si je prends mon fidèle ami le dictionnaire, est une "tendance à exalter la jeunesse, ses valeurs, et à en faire un modèle obligé". Vaste programme... Cicéron, en son temps, préconisait déjà des méthodes qui tendaient vers cet objectif, avant que d'autres écrivains et médecins s'attellent à la lourde tâche de faire reculer la vieillesse le plus loin possible. Aujourd'hui, cette volonté (accentuée par le développement des villes qui, en concentrant beaucoup d'Hommes en un même lieu, les a poussés à prendre soin de leur apparence physique afin de s'insérer au mieux dans la société) se manifeste au travers de techniques telles que la chirurgie esthétique (100 000 opérations pratiquées chaque année en France !), et se trouve largement exploitée par l'industrie cosmétique, laquelle bombarde les consommateurs de crèmes anti-rides ou de produits miracles censés vous conserver un teint de rose ainsi qu'un visage frais. Le problème de cette vision des choses reste majoritairement psychologique car quand arrive le moment où on ne peut plus combattre l'apparition de cheveux blancs, de rides, de taches brunes sur la peau ou d'autres joyeusetés, on se retrouve encore plus déstabilisé par cette entrée violente dans un monde que l'on rejette. C'est arrivé à ta grand-tante Germaine et, crois-moi, elle ne coule pas des jours tranquilles en ce moment, horrifiée qu'elle est à contempler son image dans un miroir, alors qu'elle pourrait profiter pleinement de sa retraite !

Crème anti-ridesSeringues Botox

Conséquence directe de ce type de pensée, entre en scène l'âgisme. Très simplement, il s'agit d'une discrimination fondée sur des critères d'âge, et si tu réfléchis bien, elle est présente partout de nos jours... Tiens, par exemple, tu vois la police avec laquelle tu retranscris mes paroles, comme elle est petite comparée à celle que tu utilises pour noter les tiennes ? Pourquoi n'aurais-je pas le droit de prendre de l'importance et de paraître plus imposant en taille, hein, pourquoi ? Autre chose : le terme "vieux" !! Il est employé avec une connotation péjorative la plupart du temps, surtout dans les cours de lycées si je ne m'abuse ! Oh, n'y vois pas là une attaque personnelle dirigée contre toi, tu es mon petit-fils adoré et je pense que ces mots dans ta bouche n'ont pas le sens qu'on leur donne si fréquemment, mais certainement une dimension plus affective... Ah, si tous les enfants, et tous les adultes, pouvaient être comme toi ! Si seulement leur comportement vis-à-vis de leurs aînés pouvait un peu changer ! Oh, je ne demande pas grand-chose, juste que nous autres soyons un tantinet plus reconnus à notre juste valeur d'êtres pensants, sages, doués de raison (du moins tant que nous ne sommes pas frappés par la maladie), et respectés au même titre que tout un chacun...

Semaine nationale des retraités et personnes âgées (avec Le Chat de Philippe Geluck)

En tout cas, moi, grand-père, je te soutiens à fond la caisse dand ton combat !! Et puis, si je te mets en plus petit, c'est parce que tu dis plus de choses que moi, et plus intéressantes aussi. En ce qui me concerne, je t'aime pour ce que tu es, pour la manière dont tu te comportes avec moi, pour ta gentillesse indéfectible, ton dévouement sans limites, et je ne te considérerai jamais comme un rebut de la société. Alors, on se le fait notre plan ciné ce soir ?

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